Mise à jour (décembre 2013) : suite à l’adoption de la loi organique rendant possible le référendum facultatif d’initiative parlementaire avec soutien populaire à partir du 1er février 2015, nous complétons notre argumentaire en répondant à l’objection « le “référendum d’initiative populaire” existerait déjà en France ».
Jeudi 3 octobre, à l’occasion du 55e anniversaire de la Constitution, le Président de la République François Hollande a prononcé un discours dans lequel il a annoncé avoir « demandé au gouvernement de soumettre un projet au Parlement avant la fin de l’année » concernant le « référendum d’initiative populaire » que « la révision constitutionnelle de 2008 avait prévu » (voir l’extrait vidéo).
Quelques précisions s’imposent…
Suite à ce discours, de nombreux médias ont rediffusé cette annonce en expliquant que le Président voulait instaurer un « référendum d’initiative populaire », sans aucun recul critique sur l’engagement pris par le Président et sur l’expression utilisée (par exemple, Le Monde titre « Hollande s’engage sur le référendum d’initiative populaire » et MyTF1 affirme que « Hollande veut instaurer un référendum d’initiative populaire »). [1]
Certains visiteurs nous ont même demandé si notre pétition avait encore un intérêt compte tenu de cette nouvelle.
Une mise au point est donc nécessaire :
- La Constitution ne prévoit pas de « référendum d’initiative populaire » (ou « citoyenne »). Pour l’y inscrire, il faudrait effectuer une révision constitutionnelle, ce que le Président n’a pas annoncé (et il n’y est pas favorable (lien de l’article supprimé)).
- Le Président a promis un projet de loi organique portant en fait sur le référendum d’initiative parlementaire, ce qui n’est pas du tout la même chose.
- Par conséquent, tous ces titres de presse sont faux et l’on peut dire que le Président a lui-même commis un énorme abus de langage dans son discours.
Le détail de l’intox : ne pas confondre « initiative populaire » et « soutien populaire à une initiative parlementaire »
Qu’a réellement annoncé François Hollande ? L’explication est un peu technique mais instructive. Reprenons point par point la déclaration du Président :
La révision constitutionnelle de 2008 avait prévu le référendum d’initiative populaire. La loi organique permettant l’application de cette mesure n’a toujours pas été adoptée. J’ai demandé au gouvernement de soumettre un projet au Parlement avant la fin de l’année.
« La révision constitutionnelle de 2008 avait prévu le référendum d’initiative populaire. »
Cela est tout simplement faux :
- Avant la révision constitutionnelle de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy, l’article 11 de la Constitution relatif au référendum prévoyait qu’il appartenait au Président de la République de « soumettre au référendum tout projet de loi » portant sur un sujet autorisé [2], soit sur simple « proposition du Gouvernement », soit « sur proposition conjointe des deux Assemblées » (c’est-à-dire vote majoritaire à l’Assemblée nationale et au Sénat). L’initiative était donc soit gouvernementale soit parlementaire, et il fallait encore que le Président accepte de soumettre le référendum proposé aux Français.
- Depuis cette révision, l’article 11 dispose en plus qu’un référendum « peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. ». L’initiative des référendums est donc toujours soit gouvernementale, soit parlementaire, mais en aucun cas « populaire ». [3]
En fait, la révision du 23 juillet 2008 a seulement modifié les modalités de l’initiative parlementaire :
- Avant la révision, les parlementaires ne pouvaient proposer un référendum au Président de la République qu’en réunissant sur leur proposition 50 % des députés et 50 % des sénateurs, et le Président restait théoriquement libre de refuser de soumettre la proposition (« Le Président de la République, […] sur proposition conjointe des deux Assemblées, […] peut soumettre au référendum »).
- Depuis la révision, 20 % des parlementaires peuvent en théorie imposer au Président de la République de soumettre au peuple une proposition de loi par référendum (« le Président de la République la soumet au référendum »), mais il faut alors que plusieurs conditions soient remplies, dont les trois principales sont les suivantes :
- la proposition ne doit pas revenir sur une « disposition législative promulguée depuis moins d’un an » ;
- la proposition ne doit pas avoir été examinée par l’Assemblée nationale ni par le Sénat, même si l’examen éventuel a débouché sur un vote majoritairement « contre » [4] ;
- la proposition doit être « soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ».
Il apparaît ainsi clairement que seul le soutien à la proposition parlementaire est de nature « populaire ». L’initiative, elle, demeure bel et bien parlementaire. La révision de 2008 a créé une deuxième forme d’initiative parlementaire, mais toujours aucune initiative populaire. L’initiative populaire consisterait à déclencher un référendum dès lors qu’un nombre déterminé d’électeurs le demanderait par voie de pétition. [5]
« La loi organique permettant l’application de cette mesure n’a toujours pas été adoptée. »
C’est vrai : si Nicolas Sarkozy et son gouvernement avaient fait en sorte que le référendum d’initiative parlementaire soit modifié par la révision de 2008, ils ne se sont pas préoccupés de préparer la loi organique associée, sans laquelle les nouvelles modalités ne peuvent être mises en pratique. En effet, certaines questions doivent préalablement être résolues :
- L’Assemblée nationale et le Sénat ayant le droit d’examiner la proposition de loi et ainsi d’empêcher qu’elle ne soit soumise au peuple par référendum, combien de temps faut-il leur laisser pour prendre la décision de procéder ou non à l’examen et donc de laisser ou non la proposition être soumise au peuple ?
- Combien de temps faut-il donner aux électeurs pour soutenir la proposition et essayer d’atteindre le seuil exigé de 10 % des inscrits ?
C’est le rôle de la loi organique que de répondre à ces questions.
« J’ai demandé au gouvernement de soumettre un projet au Parlement avant la fin de l’année. »
Cette annonce du Président est un non-événement : en réalité, l’examen du projet de loi organique a déjà commencé depuis longtemps. Brice Hortefeux avait présenté en Conseil des ministres un projet de loi en décembre 2010, adopté en janvier 2012 en première lecture à l’Assemblée nationale puis en février 2013 au Sénat. Il a ensuite été adopté en seconde lecture le 25 avril à Assemblée nationale et sous une forme amendée le 12 juin au Sénat. Il est normal que le Parlement vote les lois organiques prévues par la Constitution, et la procédure législative va donc simplement suivre son cours : le projet de loi organique sera revu prochainement par une commission mixte paritaire composée de 7 députés et 7 sénateurs pour harmoniser la version de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, puis en cas de désaccord, l’Assemblée nationale aura le dernier mot et la loi organique sera enfin promulguée par le Président.
Notons que ce projet de loi prévoit actuellement des conditions assez drastiques pour mettre en œuvre le référendum d’initiative parlementaire lorsqu’il est souhaité par plus de 20 % mais moins de 50 % des parlementaires : 10 % des inscrits doivent apporter leur soutien dans les 3 mois (soit environ 4,5 millions d’électeurs, ce qui est considérable), les deux assemblées ont 9 mois pour décider d’examiner la proposition et ainsi d’empêcher le référendum, et si la proposition est votée le Président a 4 mois pour la promulguer.
Compte tenu de la frilosité des élus à cet égard, on peut s’attendre à ce que les propositions de loi soient systématiquement examinées sans suite par la majorité pour écarter l’obligation d’un référendum, comme le permet la Constitution.
La seule information réelle de cette déclaration est finalement la date : nous savons à présent que la loi organique devrait être votée d’ici la fin de l’année 2013.
Saisissons l’occasion pour exiger un référendum d’initiative réellement populaire !
Les nouvelles modalités qui seront mises en oeuvre n’ayant toujours rien à voir avec l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne en France, il demeure toujours primordial de nous mobiliser sur la revendication d’un vrai référendum d’initiative citoyenne (ou « populaire »). Ne nous laissons pas avoir par des contrefaçons !
Voyez notre proposition de loi constitutionnelle instaurant un vrai RIC et signez notre pétition pour l’instauration en France du référendum d’initiative citoyenne.
Notes
Note 1 : D’autres exemples de titres faux :
- France Info titre « Hollande réactive le référendum d’initiative populaire » ;
- France Inter titre « Un projet de loi sur le référendum d’initiative populaire » ;
- FranceTVinfo titre « Le référendum d’initiative populaire adopté avant fin 2013, promet Hollande » ;
- L’Express titre « François Hollande réanime le référendum d’initiative populaire » ;
- Le Figaro titre « François Hollande relance le référendum d’initiative populaire » ;
- Le Huffington Post titre « Référendum d’initiative populaire : Hollande annonce un projet de loi avant la fin de l’année » ;
- Le Parisien titre « Hollande relance le référendum d’initiative populaire » ;
- Le Point titre « Hollande promet un projet de loi sur le référendum d’initiative populaire « avant la fin de l’année » ».
Note 2 : L’article 11 prévoit qu’un référendum ne peut être utilisé que pour soumettre aux électeurs un projet de loi « portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. ».
Note 3 : L’expression « référendum d’initiative partagée » a également été très employée en 2008 car elle avait été utilisée durant les travaux parlementaires bien que le texte final n’en fasse pas mention.
Note 4 : Les groupes parlementaires ayant la possibilité de mettre toute proposition de loi à l’ordre du jour de l’assemblée, cette condition revient donc à leur donner le pouvoir d’empêcher systématiquement le référendum sur une proposition de loi qui ne leur conviendrait pas : il leur suffit de choisir de l’examiner puis de voter contre.
Note 5 : Le site Vie-Publique.fr le reconnaît lui-même au paragraphe « Le référendum d’initiative populaire » : « les initiateurs d’un projet doivent réunir un nombre préétabli de signatures soutenant le texte envisagé (pétition) ; si ce nombre est atteint, les pouvoirs publics sont tenus d’organiser un référendum ».